Comment la gentrification a apporté le racisme dans nos banlieues ?

Si vous habitez en banlieue ou en quartier dit populaire, ça vous est peut-être arrivé. Le quartier change, ses habitants aussi, jusqu’ici rien d’extraordinaire. Et subtilement, sans trop savoir pourquoi vous avez l’impression de faire tâche dans votre environnement. De ne plus vraiment y avoir votre place. Ca a même, parfois, l’air hostile. Souriez, vous avez été gentrifié.

Ok, j’ai simplifié au max, mais cet article n’a pas pour but d’expliquer le processus de gentrification mais d’analyser une de ses conséquences : la montée du racisme et de l’islamophobie dans des lieux où cela était quasiment inexistant.

Quelques mots sur la gentrification quand même

Je ne peux évidemment pas vous parler des conséquences d’un processus sans vous expliquer un minimum le processus en lui même. A l’heure où j’écris cet article, Blast vient de sortir une vidéo sur le sujet. Voilà donc de quoi vous familiariser avec ce phénomène :

Un sujet peu considéré

La première fois que j’ai entendu parler de gentrification, c’était dans la série Unbreakable Kimmy Schmidt (je vous la conseille d’ailleurs). Lors de mon premier visionnage en 2018 ou 2019, je découvre le personnage de Lillian dont la vie se résume à se battre contre la gentrification du quartier. A coup de stratagèmes et de manifestations elle se démène (seule) à empêcher les bobos de s’installer. La série et le personnage étant comiques, je n’ai pas du tout pris le sujet au sérieux (de même que dans la série personne ne prend Lillian au sérieux non plus). Et pour cause : Lillian a l’air d’une “folle au chats” un type de personnage dont les paroles ne sont que rarement (pour ne pas dire jamais) prises en considération.

Vous trouvez pas qu’il y a un air de la dame aux chat des Simpson?

La banlieue, l’endroit de la diversité.

Je ne vais pas vous refaire l’historique de la banlieue. Déjà parce que je ne suis pas suffisamment calée mais surtout parce que ce serait très long. Vous avez certainement déjà lu ou entendu “ Banlieue = lieu du ban”. On va partir de ça. Quand la France a fait venir des travailleurs de ses anciennes colonies dans les années 70, elle était bien contente d’avoir de la main d’oeuvre, mais bon faudrait pas que la main d’oeuvre vive avec la bourgeoisie.

“Ah bah tiens, on va les mettre là bas, de l’autre côté là, entre eux. Voilà, c’est bien. La journée il viennent nettoyer nos maisons, ramasser nos poubelles et garder nos enfants et puis le soir ils retournent chez eux”
Dans ma tête, l’idée de balancer tous les immigrés dans les quartiers populaires est venue aussi vite que ça. Et donc, dans les banlieues, oui, on avait une majorité de personnes étrangères ou issues de l’immigration. Mais les HLM accueillaient aussi les familles blanches modestes, genre les familles monoparentales ou les personnes qui galéraient a avoir une situation financière stable.

La vrai mixité sociale se trouve en bas du bloc.

Je me dois ici de vous avouer quelque chose : je suis une banlieusarde des pavillons. J’habite le quartier résidentiel de ma ville. Maison, jardin, mon voisin a des poules, j’ai grandi en cueillant des fruits et légumes dans le potager de ma mère. Donc je n’ai en réalité aucun des codes que l’on colle aux “gens de banlieue” Cité, drogue, trainer en bas du bâtiment, l’ascenseur en panne et tous les clichés qui s’en suivent. Je ne dis pas que ça existe pas, juste que ça n’a pas été mon quotidien.

Mais même si j’habitais dans un quartier bien différent, j’allais à l’école primaire avec les enfants de la cité d’en face. Et, dans la cour, on était tous mélangés et ne le remarquait pas. La question des “origines” je l’ai découverte en allant au collège à Paris. Avant mes copines c’était juste mes copines.

J’ai pas dit que je voyais pas les couleurs, j’ai dit que c’était pas un sujet.

Bref. Il y a une quinzaine d’années, des gens ont commencé à se dire que, quand même, habiter à 10 minutes de Paris en métro pour un loyer 2 fois moins cher et plus d’espace, c’était pas si mal. Alors on a commencé à détruire les tours, sous prétexte de rénovation du quartier. C’est pas joli une tour quand elle est pas à la défense, vous comprenez? Et à la place on a mit… Des immeubles de 4 étages, là ou avant il y en avait 12. Alors où sont les gens? On les a relogés plus loin, dans la “ grande couronne”. Et puis on a commencé à construire des maisons mais il fallait avoir le statut de cadre pour pouvoir les acheter.
Vous en conaissez beaucoup des assistantes maternelles et des chauffeurs-livreurs cadres?
Voilà. Autour de chez moi la gentrification a commencé comme ça. On a construit des logements que le gens ne pouvaient pas se permettre, non pas par manque de moyens, mais à cause de leur statut.

Ouais mais le racisme dans tout ça, viens en au fait stp

Oui. Pardon. J’ai deux anecdotes à vous raconter.

Première : Dans ma ville, il n’y a pas que les quartiers populaires qui ont été gentrifiés, mon petit quartier résidentiel aussi. Ici à la base, il y a plein de gens issus de l’immigration (en majorité d’Europe et d’Afrique) qui se sont installés dans les années 90. C’était abordable, et pour faire vite, les blancs avec un peu d’argent ne voulaient pas être associés au 93. Aaaah le fameux 9-3!

Donc on était tranquillement là entre immigrés de toutes les couleurs à faire nos petites vies et avec des rapports de voisinnage incroyables. Carrément, ma rue est connue pour être la plus agréable du quartier chez les agents immobiliers. Pour vous dire, des fois les passants s’arrêtent pour nous dire qu’il fait vraiment bon vivre dans notre rue, que ça se voit. Juste imaginez le degré de tranquillité et de no-drama pour que ce soit devenue une réputation!

Tout ça pour dire que, je connais quasiment tous les gens qui habitent dans ma rue et qu’on s’entraide beaucoup.

Et justement, un peu plus haut dans ma rue habitait un monsieur qui avait hérité de la maison de ses parents. Il avait une maladie dont j’ignore le nom, mais ça touchait ses muscles, il ne pouvait pas, par exemple porter ses courses ou simplement prendre une bouteille d’eau dans un pack pour la poser sur sa table. Alors, mon frère le faisait la plupart du temps. Dès qu’on passait devant sa maison on s’arrêtait pour demander si il avait besoin de quelque chose.

Et un jour on l’a plus vu, la maison a été vendue. Bon. Ca arrive.
Quelques mois après je rentre chez moi, quand je vois un énorme chien sans laisse ni musolière courir entre les voitures? Gardez vos animaux près de vous, merci.

Je m’arrête et cherche son propriétaire du regard. Et là je vois sur le seuil de la fameuse maison, un homme, blanc, avec écoutez-moi (enfin lisez-moi) bien, un chapeau de paille sur la tête et un épi de blé dans la bouche. Le gars a 60m² de jardin, il s’est pris pour un propriétaire agricole du Texas. Sa dégaine c’était vraiment celle du “ Parisien qui embrasse la vie provinciale”. Bref. Je le regarde, je cherche le chien agité dans tous les sens. Le gars me dévisage juste. Il me sonde, me regarde de haut en bas comme si je n’avais rien à faire là et n’appelle pas son chien. Je finis par passer rapidement, le mec me regarde de travers, sa femme sort, me dévisage également pas un mot.

Voilà la rencontre avec mes nouveaux voisins.

Les jours, semaines, mois qui suivent, jamais un bonjour ni un sourire. Ce n’est que 4 ou 5 ans (oui oui années!) après leur installation qu’ils m’ont salué… C’est uniquement parce que la personne à qui ils parlaient m’a salué et pris un peu de mes nouvelles. (Fun fact : C’était leur voisin d’en face sur qui j’avais un crush quand on était en primaire).

Et j’ajoute : depuis, j’ai appris qu’ils avaient demandé à leur voisine d’à côté de couper son olivier (qui est là depuis des dizaines d’années) parce que, tenez vous bien, “il fait de l’ombre sur notre pelouse”.

Pour moi c’est de la même vibe que cette femme qui s’est installée à la campagne et qui a porté plainte contre le voisin parce que le coq la réveillait le matin.

Pour en revenir à mes voisins, ces gens ne sont peut-être pas profondément racistes mais ils incarnent un archétype. Celui des petits parisiens, qui, n’ayant pas/plus les moyens de rester à Paris se rabattent sur les banlieues proches en vogue. En vogue parce qu’on y a installé une piste cyclable, une brasserie artisanale, un concept-store, un maître kébabier (je vous jure que y’a ça dans ma ville maintenant) et un Biocoop.

On a transformé la ville pour eux, et eux arrivent avec tous leurs préjugés sur les habitants qui sont déjà là.

Anecdote 2 :

Il y a peut-être deux ou trois mois je me baladais au centre-ville avec ma meilleure amie. On passe dans une petite rue qui mène à notre lycée. Dans cette petite rue, avant il y avait une poterie. Aujourd’hui il y a un café-galerie-resto-bio-vegano-artistitique-ish. En soi, l’endroit à l’air sympa. Jolie terrasse, c’est coloré, il y a des œuvres un peu partout. On ralentit pour regarder, le quartier a tant changé. Et là, on se rend compte que les conversations se sont arrêtées, le niveau sonore a baissé, et la plupart des gens sont en train de nous dévisager. Ils sont tous blancs, ont l’air trop riche pour habiter dans le coin et leurs regards nous font comprendre que notre présence sur le trottoir d’en face ne fait pas sens à leurs yeux.

On part, et on en reparle. Et je suis énervée! J’en arrive au point où quand je vois un blanc l’air bobo je me demande si c’est “un gars du coin” ou un gentrifieur. Et là je me suis dit : Ah. Je crois que je comprends les gens des petites villes qui sont contre l’immigration, ou l’installation des personnes étrangères dans leur bourgade.

GROS STOP

Cette pensée m’a vraiment effleuré l’esprit et je me suis demandé : quelle différence entre parisien qui gentrifie et un malien en centre d’hébergement? Les deux sont nouveaux, n’ont pas les codes et dénotent dans le paysage.

Ca m’a pris une minute de réflexion pour me souvenir d’une différence majeure. Les personnes en situation de migration ne viennent pas imposer leur mode vie. Ils ne viennent pas s’imposer en maîtres dénigrants ce qui est déjà existant. Non.

Et c’est comme ça que j’en arrive à cette conclusion : pour moi il n’y a aucune différence entre gentrification et colonisation. Populations déplacées au profit d’une autre. Effacement de la culture locale, remplacement des infrastructures pour satisfaire le mode de vie du colon. Même combat.

Et je sais que les gens qui viennent s’installer ici sont aussi pour beaucoup victimes de la situation économique actuelle. Aujourd’hui on n’a plus de pouvoir d’achat. Les enfants avec un niveau d’études et un salaire supérieurs à celui de leurs parents ont quand même une vie plus modeste. Parce que tout est bien plus cher.

En fait on a un peu affaire à des colons malgré eux. Mais là où je pardonne pas, c’est sur ce bagage de préjugés. Arriver dans le 93, lui trouver toutes les qualité du monde tout en rabaissant ses habitants c’est irrespectueux et indécent.

La Seine-Saint-Denis, même dans sa transformation encore en cours, garde l’étiquette de la banlieue difficile, des émeutes et de tous type de pratiques illégales.

Cependant, comme je l’ai lu hier sur Instagram “ Nous sommes tous des pêcheurs sélectifs. On choisit les pêchés avec lesquels nous sommes à l’aise et on condamne les autres

Pourquoi je cite ça? Parce que l’on sait, que pour pouvoir se payer des logements dans certains arrondissements de Paris, il faut être excessivement riche. Et on sait que dans excessivement riche, il y a souvent : détournement de fond, fraude fiscale, emploi fictif.

Paris n’est pas pour autant markettée comme la capitale du crime financier. C’est donc trop facile de venir en Seine-Saint-Denis, en ayant en tête que : tout le monde est délinquant, et qu’on va venir redorer le blason en tant que bonnes personnes.

Please.

Par leurs préjugés et leurs égos demesurés , les gentrifieurs ont changé la façon de vivre dans les villes. Ils ont amené dans leur cartons du matcha et de l’hostilité à l’égard de ceux qui étaient déjà là.

Du coup on fait quoi?

L’idée m’est venue la semaine dernière, laissez moi vous donner mon moov anti-gentrifieurs chiants. Parce que j’ai rien contre les gens qui emménagent sans nous prendre de haut. Evidemment. Mais ceux qui installent des cafés où la citronnade coûte plus cher que le Grec complet - frites - boisson de chez Mahmoud à 25 mètres de là, et dont la clientèle nous regarde mal quand on passe, ça suffit.

Ma volonté première, c’était de ne tout simplement pas fréquenter ces endroits, et aller dans les lieux historiques de la villes ceux qui respectent tous les habitants. Mais en fait ça représente une sorte de ségrégation, et les gentrifieurs qui regardent mal sont bien contents de rester entre eux.

Il faut les choquer.

J’ai décidé que j’allais me rendre à ces adresses, en bande organisée. Je serais pas la petite noire solo perdue qu’on tolère dans un coin. On sera un gang de banlieusards. On y va, on s’installe comme les clients normaux que nous sommes, et on consomme la chose la moins chère. Genre on partage un café à quatre et on demande une carafe d’eau. Parce qu’il est hors de question que je donne ma thune pour un lieu qui ne veut pas de moi. Et il est aussi hors de question que je me laisse déposséder de ma ville que j’aime tant par des gugus qui sont arrivés avant-hier et qui se pensent mieux que moi.

En fait, je suis un peu devenue la Lillian de mon quartier.

Téné

Salut, moi c’est Téné.

Je suis une grande curieuse et je peux parler des heures de séries comme de mécanique.

Sur ce blog je partage mes réflexions sur le monde, la société. Et tout ce qui me viens.

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